Homélie d’Avon : 2e Dimanche de l’Avent

Frères et sœurs,

« Pas de souci ! » On connaît l’expression qui s’est imposée dans le langage courant depuis une quinzaine d’années. Dans les relations entre amis, dans les relations professionnelles, l’expression retentit comme une antienne : « pas de souci ! » Certes, c’est une des vertus du langage que de rendre, dans nos relations, toute chose agréable. Mais l’expression, bien de notre époque qui se veut toujours positive et politiquement correcte, est très illusoire. Des soucis, nous en avons tous. Dame liturgie le sait bien, qui nous fait demander en ce jour : « Seigneur, ne laisse pas le souci de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de ton Fils ». Elle attire notre attention sur ce que nous en faisons et la place qu’ils occupent dans notre vie, notre vie de foi en particulier.

C’est dans ce contexte, qu’en ce deuxième dimanche de l’Avent, retentit une autre expression : « convertissez-vous ! » Le violet, couleur liturgique de la conversion et de la pénitence, ne se porte jamais aussi bien qu’en ce jour, alors que l’Avent se parerait également des autres couleurs liturgiques : le vert, couleur de l’espérance à laquelle invite tout particulièrement, dans son appel à la vigilance, le premier dimanche de l’Avent ; le blanc, couleur de la joie qui sera la marque de dimanche prochain ; et le rouge, couleur de l’Esprit-Saint, qui recouvrira la Vierge Marie, dans cette imminence de la Nativité qui caractérise le quatrième dimanche de l’Avent.

Mais en ce jour, par la bouche de Jean-Baptiste, l’appel à la conversion retentit dans le désert. Laissons-le retentir à nouveau dans nos cœurs ! Que signifie-t-il durant ce temps de l’Avent ? D’abord, les mots (« préparer », « aplanir », « nettoyer ») et les gestes de l’évangile (la vie au désert de Jean-Baptiste, sa vêture et sa nourriture) le disent avec force, la conversion de l’Avent est un retour à l’essentiel, ou plus précisément une recherche de l’essentiel. L’image du tri entre le grain et la paille peut nous aider. Qu’est-ce qui dans nos vies mérite d’être brûlé ou tout au moins laissé de côté et qu’est-ce qui mérite d’être recueilli et cultivé ?

Croire en Dieu nous guide dans cette appréciation et donne de la profondeur à nos vies tout en relativisant certaines choses, certains soucis aussi. La conversion de l’Avent comporte ensuite un appel à écouter plus attentivement l’Ecriture : « prêtez l’oreille ! » Saint Paul le disait : les livres saints ont été écrits « pour nous instruire afin que nous possédions l’espérance grâce à la persévérance et au courage (on pourrait traduire aussi la consolation) que donne l’Ecriture ». Lire l’Ecriture, ce n’est pas ressasser toujours les mêmes histoires mais retourner à la source (il s’agit bien d’une conversion) pour se laisser transformer et aller plus loin.

Dans notre évangile, Isaïe donne à Jean-Baptiste de discerner le moment unique de l’histoire qui se vit, les mots pour dire ce qu’il convient de faire et aux lecteurs de comprendre le geste de Jean-Baptiste (« Jean est celui que désignait la parole transmise par le prophète Isaïe »). L’Avent nous est donné pour relire l’Ecriture. L’huile de notre vigilance est la lecture, patiente, fervente et qui façonne « l’intelligence du cœur » que nous demandions dans la prière d’ouverture de notre messe. Cette intelligence nous donne d’apprécier à leur juste place les soucis qui peuvent assaillir notre cœur.

Troisièmement, l’invective de Jean-Baptiste « engeance de vipère » - lui, ne fait pas dans le politiquement correct - nous invite à vérifier nos points d’appui. En quoi, en qui, dans nos choix, dans nos attitudes, dans notre vie intérieure, faisons-nous confiance ? Jean-Baptiste fustige les pharisiens dont l’assurance est d’être fils d’Abraham. La cognée à la racine de nos arbres nous permet de repérer et de vérifier nos racines. Il y a dans certains de nos soucis des appuis mal établis, quand nous attendons parfois trop des autres ou parfois trop de soi, souvent pas assez de Dieu.

Quatrièmement, Jean-Baptiste nous interroge sur les fruits de notre conversion. Certes, la conversion n’est pas la récompense de ces fruits, certes ces fruits ne sont pas nécessairement abondants ni beaux à voir (il faut l’œil de Jésus regardant l’obole de la veuve pour les apprécier en vérité), mais se convertir c’est accueillir effectivement et donc efficacement la grâce, dans l’action de grâce. C’est le sens de se reconnaître pécheur, pas simplement pour fuir une menace (la colère de Dieu), se réfugier en Dieu pour en obtenir quelque chose, mais reconnaître les errances, les incohérences, les offenses de notre vie et tout attendre de Dieu.

Enfin, cinquièmement, Jean le Baptiste annonce le Royaume tout proche et la venue de Celui qui vient. Quel est le désir profond de notre cœur ? Celui de mieux connaître Dieu comme l’exprime Isaïe : « la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer » ? Celui d’éprouver la paix exprimée en terme d’harmonie cosmique (« le loup avec l’agneau ») dans la première lecture ou fraternelle (les « mêmes cœurs et mêmes voix ») de la seconde ? Ces horizons rencontrent-ils en nous un cœur blasé ou un cœur assoiffé, réaliste mais plein d’espérance ? L’épreuve de nos soucis peut nous faire accéder à ces désirs plus ou moins profonds qui habitent notre cœur.

On le voit à travers ce quintette d’orientations ouvertes par notre liturgie de la Parole, l’appel à la conversion durant ce temps de l’Avent nous fait cheminer à la rencontre de celui qui est la lumière et qui a demeuré parmi nous. Lui seul peut nous donner la véritable « intelligence du cœur » de ce que nous vivons, le désir de l’accueillir et de lui faire la place avec les détachements que cela implique, le courage pour le combat et l’espérance…

Et nos soucis dans tout cela ? Nous avons vu en passant que ce chemin de conversion de l’Avent pourra en relativiser certains en les situant à leur juste place et en trouvant les moyens pour y faire face. « Nettoyer, amasser et brûler » dit l’évangile. D’autres au contraire ne disparaîtront pas. Ils sont la trace de souffrances, de combats, de désirs qui nous taraudent en profondeur. Nous en repérons alors les vrais enjeux. Notre foi, mise à l’épreuve, est en même temps le grand appui. L’expérience de ces soucis peut ainsi devenir un lieu pour mieux connaître et mieux compter sur le Seigneur, fidèle et miséricordieux, comme le dit saint Paul. Sa fidélité est là quand nous nous décourageons, sa miséricorde et sa douceur sont plus fortes que nos duretés, nos refus et nos impatiences, son exigence nous retient des capitulations et des compromissions. Que l’appel à la conversion retentissant en ce jour nous encourage, nous réjouisse et nous donne déjà de rencontrer Celui qui vient.

AMEN.

Fr. Guillaume Dehorter, ocd

Revenir en haut