Homélie d’Avon : 32e Dimanche TO

VIVRE POUR DIEU, VIVRE DE DIEU

« Des Sadducéens viennent trouver Jésus ». (Lc 20, 27) C’est le seul passage dans l’évangile de Luc où il met en scène cette caste juive des Sadducéens. Il s’agit de l’élite sacerdotale du Peuple de Dieu ; c’est parmi eux que l’on choisissait le Grand-Prêtre. Ils ont cette particularité d’être un peu les “fondamentalistesˮ du judaïsme. C’est-à-dire qu’ils veulent uniquement garder la Torah, les cinq livres du Pentateuque. Ils n’acceptent pas les livres prophétiques, les livres historiques, ni les écrits de Sagesse. Nous pourrions dire que ce sont des purs et durs de la Torah, de la “Loiˮ. Mais en même temps, ils savent, pour protéger leurs intérêts, composer, voire même collaborer avec l’occupant romain, païen par excellence. Et dans ces circonstances là, ils savaient accepter un certain nombre de compromissions.

Cela nous permet de nous interroger ce matin. Ne sommes-nous pas parfois un peu “sadducéensˮ ? Nous avons des principes, des principes forts, voire rigides auquel nous tenons et que nous affirmons haut et fort. Mais quand il s’agit de nos intérêts ou de nos satisfactions, nous savons faire quelques entorses à nos principes.

Laissons-nous interpeler ce matin : quand nous venons à Jésus, venons-nous, comme les Sadducéens pour chercher à le prendre en défaut, à le déstabiliser, à le “coincerˮ ? Venons-nous avec nos diverses “prétentionsˮ, ce que nous “savonsˮ ou que nous prétendons savoir ? Ou venons-nous avec l’attitude toute simple d’Élisabeth de la Trinité, que nous fêterons demain, et qui dit dans sa prière à la Trinité : « O Verbe éternel, Parole de mon Dieu, je veux me faire tout enseignable, afin d’apprendre tout de vous » ?

Il me semble que si nous venons à Jésus ce matin, si nous l’interrogeons, ce n’est pas en prétendant savoir et avoir la réponse, mais en voulant l’écouter pour devenir davantage ses disciples.

Jésus écoute ce que disent les Sadducéens dans une de ses discussions rabbiniques qui n’en finit pas : en s’appuyant sur un verset biblique, on imagine alors des situations fictives et l’on cherche alors à résoudre avec un lot incroyable d’arguments, voire d’arguties, ces fictions sorties de l’imagination débridée des hommes qui ont pour but de déstabiliser “l’adversaireˮ ou le contradicteur.

Mais Jésus ne se laisse pas enfermer dans une discussion stérile. Il sait que les Sadducéens récusent la foi en la résurrection qui est née tardivement dans le judaïsme, au IIe siècle avant notre ère, comme en témoignent les livres des Maccabées et de Daniel.

En leur répondant, Jésus nous livre un quadruple enseignement. Tout d’abord, il établit le contraste entre ce monde-ci et le monde à-venir, l’au-delà. « Les enfants de ce monde se marient, mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir […] ne se marient pas. » (Lc 20, 34-35) Il ne s’agit pas là d’une dévalorisation du mariage. Dans de nombreux autres passages, Jésus en parle très positivement. Mais ici, il nous invite à ne pas “placarderˮ sur la vie à venir, les réalités ou les expériences qui sont les nôtres, dans ce monde-ci qui passera.

Il précise : « ceux qui ont été jugés dignes… » (Lc 20, 35) Il ne suffit pas d’avoir un certificat de baptême à présenter à la “frontièreˮ pour entrer dans le monde à venir ; il faut “en avoir été jugé digneˮ. Cela nous montre le sérieux de “l’aujourd’huiˮ, le sérieux du “maintenantˮ pour préparer notre avenir. Nous l’avons entendu dans la première lecture, les frères mettent leur espérance en Dieu. Ils croient qu’il les ressuscitera puisqu’ils sont restés fidèles à ses commandements (cf. 2 M 7, 9.11.14) et ils affirment à Antiochus qu’à cause de ses actes impies, il ne connaîtra pas la résurrection. (cf. 2 M 7, 14) Les paroles que nous prononçons, les actes que nous posons, nous entraînent vers un au-delà qu’ils préparent.

Jésus poursuit en disant : « Ils sont semblables aux anges. » (Lc 20, 36) Jésus indique ainsi que non seulement l’au-delà n’est pas comparable à ce monde-ci, mais qu’il dépasse notre entendement, notre science, notre connaissance… Il est inimaginable parce que nous n’en avons pas encore l’expérience. Nous pouvons peut-être user d’une métaphore : l’enfant, dans le sein de sa mère, ne peut imaginer ce que sera la vie quand il en sera expulsé lors de l’accouchement. Et pourtant quelle vie plus belle et plus pleine, il va vivre alors, même s’il a dû vivre le traumatisme du “passageˮ.

De la même façon, nous ne pouvons imaginer ce que ce sera de vivre ressuscités dans le Royaume, après le “passageˮ par la mort, passage qui nous traumatise d’une certaine manière ; mais vécue avec le Christ Jésus, vainqueur de la mort et du péché, notre mort sera “passageˮ dans cette vie nouvelle, plus belle, plus pleine.

Jésus continue : « Ils sont fils de Dieu en étant héritiers de la résurrection. » (Lc 20, 36) “Être fils de Dieuˮ : celui qui nous dit cela, c’est celui qui est “leˮ Fils par excellence. C’est celui qui seul, fait l’expérience totale et plénière de la paternité de Dieu, dont il se reçoit et à qui il ne cesse de se remettre. Entendre le Christ Jésus, Fils unique du Père, nous dire que nous sommes des « fils de Dieu, héritier de la résurrection » (Lc 20, 36) c’est le laisser faire de nous ses frères, c’est le laisser nous introduire dans cette relation unique qu’il vit avec son Père et qu’il veut nous donner en partage. Nous devenons fils de Dieu dans le Fils unique.

Il affirme alors la puissance de la résurrection qui vient d’un double mouvement. Face aux Sadducéens, Jésus s’appuie sur la Torah, sur la révélation faite à Moïse au buisson ardent. « Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur : “le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacobˮ. » (Lc 20, 37) Nous pourrions poursuivre : le Dieu de Philippe, le Dieu d’Alice, le Dieu de Jean-Pierre, le Dieu de Simone, etc. et prendre chacun de nos prénoms. Notre Dieu nous connaît chacun et chacune par son prénom de manière unique et c’est cet amour là qui est source de vie pour nous, premier mouvement.

En réponse à cet amour, nous aimons à notre tour. Jésus affirme : « Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ; tous vivent en effet pour lui. » (Lc 20, 38) En vivant pour Dieu, non seulement nous accueillons son amour, non seulement nous répondons à son amour, mais nous lui permettons de faire à notre égard œuvre de résurrection. La résurrection est à la fois le signe de l’amour unique, personnel de Dieu pour chacun de nous et notre réponse, notre accueil à cet amour.

C’est pourquoi Paul peut dire, dans la deuxième lecture, qu’il souhaite que « la Parole de Dieu poursuive sa course » (2 Th 3, 1) La lecture commençait en nous invitant à nous « laisser réconforter par Jésus-Christ lui-même et par Dieu notre Père, lui qui nous a aimé et qui dans sa grâce, nous a donné pour toujours réconfort et joyeuse espérance. » (2 Th 2, 16-17)

La Parole de l’Évangile est réconfort parce qu’elle affirme que nous sommes fils de Dieu, qu’elle nous rappelle que nous sommes appelés à la résurrection et que cette résurrection est déjà à l’œuvre en nous aujourd’hui. Prions, comme le demande l’apôtre Paul, pour que la Parole du Seigneur poursuive sa course. Qu’elle la poursuive dans deux dimensions : Qu’elle poursuive sa course dans le monde pour accomplir sa mission évangélisatrice sur toute la terre ; et qu’elle poursuive sa course en nous-mêmes, pour nous évangéliser dans les ultimes profondeurs de notre être afin que nous puissions rendre gloire à Dieu. (cf. 2 Th 3, 1)

Oui, frères et sœurs, c’est une Bonne Nouvelle qui nous est annoncée aujourd’hui. Bonne Nouvelle qui fait de nous des vivants par l’amour du Dieu Vivant. Puissions-nous au jour de notre passage dans l’autre monde, nous écrier avec Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie ». Car notre mort est effectivement un passage vers Celui qui nous a aimés et que nous avons cherché à aimer à notre tour.

C’est pourquoi avec la “petiteˮ Thérèse, nous pouvons conclure : « Je ne me repents pas de m’être livrée à l’Amour. » Car, en nous livrant à l’Amour, nous recevons du Dieu vivant la Vie.

Amen.

Fr. Didier-Marie Golay, ocd

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