Dieu nous transforme

“DIEU NOUS TRANSFORME”

LES ÉTAPES D’UNE VIE DE PRIÈRE SELON VIDA 11-21 - LE TRAITÉ DES QUATRE EAUX

I / Présentation et clefs de lectures du traité.

Les chapitres 11-21 (le chapitre 22 sera traité la prochaine fois) forment une unité bien repérable dans li Livre de la vie. L’image de l’arrosage d’un jardin en constitue le fil conducteur : au chapitre 11, Thérèse introduit cette image en disant qu’il y a quatre manières d’arroser un jardin et qui représentent autant d’étapes de la vie spirituelle. Elle développe chacune de ces étapes jusqu’au chapitre 21. Au chapitre 23, en écrivant « Je veux reprendre maintenant ma vie au moment où j’en étais restée ; je crois m’en être écartée plus que je ne l’aurais dû, mais cela aidera à mieux comprendre ce qui va suivre » (V 23, 1), Thérèse admet explicitement l’unité et la singularité des chapitres qui précèdent mais aussi leur importance pour comprendre sa vie. Au niveau du genre littéraire enfin, cet ensemble se présente, non comme un récit, mais comme un exposé doctrinal.

La présentation qui suit est une invitation à la lecture de cet ensemble : ce soir nous lirons une partie de son premier chapitre. Quelques remarques s’imposent.

Première remarque, Thérèse expose les quatre degrés d’oraison à partir de l’image du jardin, mais elle se permet des diversions, si bien que l’on n’a pas toujours affaire au genre de l’exposé. C’est ce qui donne au texte sa vivacité et sa complexité !

Elle va parfois s’adresser aux commanditaires de son ouvrage : le père Garcia de Tolédo (V 11, 6 ; 14, 12) ou l’ensemble des destinataires (V 16,7). Ces apartés ont pour but de les exhorter ou de les encourager. Elle y donne aussi ses propres réflexions sur ses expériences, soulignant souvent le va-et-vient entre ses propres lectures, son expérience et ce qu’elle peut en dire, et l’expérience de son lecteur. « Je crois avoir été claire : peut-être n’est-ce que pour moi seule. Daigne le Seigneur ouvrir par l’expérience les yeux de ceux qui liront ces pages ! Si restreinte que soit cette expérience, ils me comprendront sur l’heure » (V 12, 5). Thérèse s’adresse aussi parfois à Dieu : le texte est émaillé de prières plus ou moins développées (V 14,10 ; 16, 4-5 ; 19, 6-9). Elle rend grâce souvent pour la miséricorde à l’œuvre dans sa vie, elle qui s’en sent indigne !

Deuxième remarque, Thérèse appuie son écrit sur son expérience déjà avancée. Mais cette dernière s’affinera avec le mariage spirituel. Thérèse présentera par la suite, dans le livre des Demeures particulièrement, certains aspects de la vie spirituelle un peu autrement qu’elle ne le fait ici. Par exemple, sa troisième eau n’est pas vraiment de nature différente de la seconde. Bref, nous n’avons pas affaire à une synthèse achevée et il ne faut pas lire ce traité ainsi.

Enfin, nos chapitres parlent de quatre degrés d’oraison : cela ne concerne cependant pas uniquement la prière en tant que telle mais la vie de prière, c’est-à-dire la vie spirituelle tout entière irriguée par la prière.

II / Structure du traité.

La structure globale du traité est donnée par le développement de l’image du jardin, ce qui donne quatre grandes parties de deux ou trois chapitres chacune.

11-13 Premières eaux L’oraison laborieuse

14-15 Deuxièmes eaux L’oraison de quiétude

16-17 Troisièmes eaux Le sommeil des puissances

19-21 Quatrièmes eaux L’oraison d’union et les ravissements

III / Lecture du traité.

L’ensemble de ces chapitres brosse un itinéraire, un chemin de croissance et d’unification sur lequel l’emprise du Seigneur sur le croyant grandit. Tout au long de ce chemin, l’âme perçoit de manière de plus en plus fine l’action du Seigneur dans sa vie. Au début du chapitre 11, avant d’introduire l’image du jardin (§ 6-8), Thérèse ouvre son traité, qui s’adresse à ceux qui veulent être « serviteurs de l’amour » (V 11, 1), sur un paradoxe : d’un côté, notre résistance à nous donner entièrement au Seigneur est la raison du temps qu’il nous faut pour cheminer vers l’union parfaite (d’où finalement l’existence d’un traité sur l’itinéraire spirituel !) ; d’un autre côté, la miséricorde du Seigneur, elle, « ne se refuse à personne » (V 11, 4).

1. Le premier degré d’oraison. L’oraison laborieuse (chapitres 11,9-13)

Thérèse aborde la première manière d’arroser le jardin, c’est-à-dire le premier degré de la vie spirituelle, en précisant quelle est l’oraison de cette étape. Elle insiste sur son côté laborieux. Il s’agit de tirer péniblement l’eau du puits, image de nos efforts dans la prière qui consistent à méditer sur la vie de Jésus-Christ, sur sa Passion en particulier, mais qui n’aboutissent pas toujours. Cette prière alterne avec une forme plus passive : « Il ne faut pas se fatiguer sans relâche à creuser son sujet ; il faut aussi se tenir auprès de notre Seigneur dans le silence de l’entendement. L’âme tentera de se pénétrer de la pensée qu’il la regarde ; elle lui tiendra compagnie, elle lui parlera, lui adressera des demandes ; elle s’humiliera à ses pieds, elle trouvera sa joie auprès de lui » (V 13, 21)

Il est en tout cas important d’être déterminé et d’embrasser la croix : la joie ne réside pas dans les jouissances éprouvées dans la prière mais dans le fait de servir le Seigneur. Thérèse encourage son lecteur sans cacher les exigences de la vie d’oraison : « Que nul ne se tourmente ni ne s’afflige, soit des sécheresses, soit des inquiétudes, soit de l’égarement des pensées. S’il veut acquérir la liberté d’esprit et ne pas vivre dans un chagrin continuel, qu’il commence par ne point s’épouvanter de la croix. Il verra comment Notre-Seigneur l’aidera à la porter, quelle heureuse vie il mènera et quel profit il tirera de tout » (V 11, 17). L’enjeu des sécheresses dans la prière est d’ailleurs d’expérimenter que c’est le Seigneur qui donne et que par nous-mêmes, nous ne savons pas prier. La grande tentation de cette période est donc d’abandonner l’oraison.

Au chapitre 13, Thérèse en précise d’autres : vis-à-vis de Dieu et des autres. Vis-à-vis de Dieu, il s’agit ni de diminuer ses grands désirs, bien au contraire, en se contentant de « faire le crapaud » (V 13, 3) ni de présumer de soi. L’humilité est la grande vertu qui repose sur la totale confiance en Dieu : « L’humilité doit toujours aller la première pour nous apprendre que les forces dont nous avons besoin ne viendront pas de notre propre fonds » (V 13, 3). Vis-à-vis des frères, il s’agit d’éviter le zèle intempestif qui veut qu’autrui marche comme soi-même ou qui s’inquiète des travers d’autrui. A cette période de commencement, il s’agit de s’ancrer en Dieu : c’est ainsi, et non contre la charité fraternelle bien sûr, qu’il faut comprendre Thérèse écrivant : « la voie sûre est d’oublier absolument toutes choses, pour ne s’occuper que d’elle-même et du soin de plaire à Dieu » (V 13, 9).

Dans ce même chapitre 13, Thérèse aborde la question du directeur spirituel qui l’a tant travaillée : doit-il avoir prioritairement l’expérience de la prière pour savoir guider celui qui prie, ou des repères théologiques clairs et un bon jugement pour apprécier, sans nécessairement l’expérimenter ce qui disent les personnes qu’il dirige ? Thérèse privilégie dans un premier temps celui qui a l’expérience mais apporte des nuances à son propos, qui n’est donc pas catégorique.

2. Le deuxième degré d’oraison. L’oraison de quiétude (chapitres 14-15)

Ce degré marque l’entrée dans le « surnaturel » (V 14, 2), c’est-à-dire que désormais c’est le Seigneur qui prédomine dans l’action de l’âme, même si ce n’est pas encore l’union entière. Le Seigneur allume une « étincelle » (V 15, 1) dit Thérèse pour exprimer l’état de recueillement et la volonté qui se rend « captive » (V 14, 2). Dans la prière, l’âme expérimente la présence du Seigneur : c’est l’oraison de quiétude. « Le Seigneur veut, dans sa munificence, faire comprendre à cette âme qu’il est tout près d’elle, si près qu’elle n’a plus besoin de lui envoyer de messagers. Elle peut lui parler d’elle-même et sans élever la voix car, à cause de sa proximité, il la comprend au seulement mouvement des lèvres » (V 14, 5) En ces occasions, l’âme se donne au Seigneur et dit ‘oui’ mais ce n’est pas permanent.

L’âme est en croissance, « les fleurs sont sur le point d’éclore » (V 15, 15), même si, précise Thérèse, la croissance spirituelle ne se fait pas comme la croissance d’un enfant, elle n’est pas linéaire et passe parfois par des retours en arrière (V 15, 12). Il lui faut donc agir avec prudence [ne pas mettre de grosses bûches dans le feu encore fragile qui vient d’être allumé ! (cf. V 15, 6)], faire grand cas des dons de Dieu en développant un climat de louange et de reconnaissance, grandir dans la confiance [ce ne sont pas nos faux mouvements qui vont mettre à mal la grâce (cf. V 15, 1)]. L’âme s’affermit dans les vertus et fait l’expérience vive de sa misère morale : elle perçoit mieux l’œuvre de la miséricorde et que vraiment tout vient de Dieu.

Thérèse aborde aussi le rôle du démon et plus largement le rôle joué par chacun des “acteurs” que sont l’âme, Dieu et le démon dans la vie de l’âme. Les critères de l’humilité et de la liberté seront toujours le signe de la présence de Dieu en l’âme, même s’il lui arrive de chuter.

3. Le troisième degré. Le sommeil des puissances (chapitres 16-17)

Cette étape est celle du « sommeil des puissances » (V 16, 1). Après la puissance de la volonté, c’est l’entendement qui est pris par le Seigneur ; la mémoire reste volage et source de dissipation. Mais Thérèse la compare aux papillons de nuit qui virevoltent autour de nous (cf. V 17, 6) : c’est pénible mais pas dangereux !

« Les fleurs […] commencent à répandre leur parfum » (V 16, 3). L’âme fait l’expérience d’une joie profonde, dans un climat de louange, et même de « glorieux délire » de « céleste folie » (V 16, 1). Elle est prête à dire mille paroles pour la louange de Dieu qu’elle voudrait partager à tous. Elle expérimente une certaine union à Dieu, qui reste cependant partielle, d’où une intense souffrance, une tension entre le ciel et la terre (cf. V 16, 5). Le travail d’unification se poursuit où il s’agit de consentir à ce que l’on vit, de se livrer à Dieu, quoiqu’il arrive. L’âme progresse (les vertus s’affermissent) mais reste fragile. De plus en plus, tout le corps est impliqué dans les grâces reçues (cf. V 17, 8).

Dans ces chapitres, Thérèse exprime aussi la différence entre “expérimenter” et “exprimer ce que l’on expérimente”. Elle en parle avec une triple distinction devenue célèbre : faire une expérience ; en prendre conscience et donc la comprendre quelque peu ; en dire quelque chose. Chacune de ces étapes est une nouvelle grâce (cf. V 17, 5).

4. Le quatrième degré d’oraison. L’oraison d’union (chapitres 18-21)

La dernière étape est celle de l’union effective, de l’emprise habituelle du Seigneur sur toutes les puissances de l’âme, donc la docilité à l’Esprit Saint. Elle est marquée par un immense bonheur, un état de réelle liberté. L’âme est courageuse, forte et en même temps lucide sur sa faiblesse, sur le fait que tout lui vient de Dieu : elle est véritablement humble. Elle peut commencer à distribuer ses biens, élément nouveau par rapport aux étapes précédentes où Thérèse mettait en garde contre le fait de « distribuer des fruits » dont elle ne se serait pas nourrie (V 17, 3). Malgré tout cela, la vigilance reste de mise : Thérèse évoque les chutes possibles, desquelles cependant le Seigneur peut toujours nous relever. A cette étape encore, elle insiste sur le fait de ne pas abandonner l’oraison.

Au chapitre 20, Thérèse aborde les grâces de ravissement qui peuvent être données en cette étape. Ce sont des grâces extraordinaires (qui ne font donc pas partie de l’état d’union en tant que tel) de suspension des puissances, que Thérèse décrit par rapport à son expérience et qui concernent tout le corps. Ses effets sont un immense amour, un grand détachement et un désir de servir le Seigneur le plus possible. « O Bien qui surpasse tous les biens ! ô mon Jésus ! […] Voici ma vie, mon honneur et ma volonté ! Je t’ai tout donné, je suis tienne ; dispose de moi selon ton bon plaisir. Je reconnais, ô mon Maître, mon extrême impuissance. Mais une fois auprès de toi […] je pourrai tout » (V 21, 5). Dans ce même chapitre (V 20, 9-17), Thérèse fait état d’une étonnante expérience de grande solitude, qui dépasse l’état d’union mais que Thérèse vit quand elle écrit cette partie. Elle la relit comme un temps où « l’âme se purifiait, s’affinait et devenait aussi nette que l’or dans le creuset pour être rendue plus apte à recevoir l’émail de ses dons » (V 20, 16).

IV / Bilan.

On pourra être frappé dans cet enseignement thérésien par la description d’une avancée et à la fois par des conseils et des combats récurrents d’un degré à l’autre. D’un côté, en effet, on voit les « fleurs » du jardin s’ouvrir de plus en plus et devenir pleinement épanouies pour le Seigneur : les vertus, l’humilité, la liberté, la conscience que tout vient de Dieu et la joie de la louange qui l’accompagne s’affermissent. D’un autre côté, Thérèse insiste sur la vigilance permanente, à ne pas abandonner l’oraison, à ne pas tomber dans la présomption. Les chutes sont possibles mais ne signent pas la fin du parcours, si l’âme sait se tourner vers le Seigneur dont la miséricorde ne fait jamais défaut.

On pourra aussi être frappé par les paradoxes qui sont au cœur de ce traité. En effet, il s’agit pour l’âme de tout donner et pour cela de tout recevoir car le travail est déjà entièrement fait de la part du Seigneur (c’est lui qui a préparé le jardin) mais l’âme doit pour autant travailler au jardin (l’arroser) si bien que l’on peut se demander qui est le jardinier : le maître ou l’âme ? Thérèse invite au courage et à la détermination alors qu’en même temps, tout est grâce. Enfin, Thérèse invite aux grands désirs qu’il ne faut pas rabaisser et en même temps à l’humilité. L’ambition de la sainteté s’appuie toute entière sur l’humilité que tout vient de Dieu.

Thérèse écrit finalement son traité de l’oraison afin de rendre grâce à Dieu pour tous les dons reçus et afin d’inviter le lecteur à croire que ceux-ci sont offerts, à lui aussi. « Puisse l’immense libéralité dont il a usé envers une si misérable pécheresse, animer et encourager ceux qui liront ceci à tout quitter sans réserve pour son amour ! » (V 21, 12) Que son enseignement nous guide durant ce carême !

V / Le texte de ce soir est extrait du chapitre 11 (§ 9-13).

Le texte au programme de ce soir se trouve au début du traité des quatre eaux. Il peut être bon de le situer dans l’ensemble du chapitre 11, pour inciter chacun de nous à relire l’ensemble de ce chapitre !

  • § 1-5 Introduction au traité
  • § 6-8 La comparaison du jardin
  • § 9 Tirer l’eau du puits. Le thème de la sécheresse dans la prière
  • § 10-11 Comportement à tenir et sens de la sécheresse
  • § 12 Adresse au Maître (prière)
  • § 13-15 Exhortation à “être déterminé” (§ 13) ; Adresses aux lecteurs qui se plaignent (§ 14) et à ceux qui n’achèvent pas leur chemin (§ 15)
  • § 16 Un discernement nécessaire entre adaptation et ténacité
  • § 17 Reprise en inclusion du thème de la sécheresse

Fr. Guillaume Dehorter, o.c.d.

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