Homélie d’Avon : 2e Dimanche de Carême

“TRANSFIGURÉ(S)”

« Jésus prend avec lui Pierre, Jean et Jacques » (Lc 9, 28). Jésus n’emmène pas avec lui tous les disciples, mais uniquement Pierre, Jean et Jacques. Il en choisit trois, comme lors de la résurrection de la fille de Jaïre (Lc 8, 51), ou lors de la prière au jardin de Gethsémani (Mc 14, 33). Par ce choix de quelques disciples, Jésus attire notre attention et nous prévient que quelque chose d’important va se passer.

Après les avoir choisis, Jésus monte avec eux sur la montagne pour prier. Il les rend témoins de son extraordinaire relation à son Père. Il leur donne de contempler sa relation filiale à son Père. Et voilà que sous leurs yeux : « son visage apparut tout autre, ses vêtements devinrent d’une blancheur éclatante » (Lc 9, 29). Par sa relation au Père, Jésus révèle et manifeste aux disciples son être profond. C’est bien Jésus qu’il contemple, mais en cet instant unique transparaît dans son humanité tout l’éclat de sa divinité. La théophanie qui s’accomplit sur le mont Thabor manifeste aux yeux des disciples, ce que le Concile de Chalcédoine affirmera solennellement : “Jésus est vrai Dieu et vrai Homme” ! Il est l’unique médiateur.

« Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie » (Lc 9, 30). Moïse et Élie, deux hommes célèbres dans la Première Alliance. Moïse est celui qui a fait sortir le Peuple Élu de l’esclavage d’Égypte. C’est à lui que Dieu a donné les tables de la Loi. Il est vénéré comme l’auteur de la Torah, de la Loi que Dieu donne à son Peuple pour qu’il vive. Élie est le prophète qui « se tient devant le Dieu vivant » (cf. I R 17, 1). Sur le mont Carmel, il fait sortir le Peuple Élu de l’esclavage des idoles et des faux dieux. Il est le symbole de ceux qui sont saisis par l’Esprit de Dieu et qui parlent en son nom.

Tout deux, comme Jésus, ont vécu un jeûne de quarante jours (cf. Ex 24, 18 ; I R 19, 8 ; Lc 4, 2). Moïse et Élie sont les deux seuls personnages de la Première Alliance qui ont vu Dieu. Moïse l’a vu de dos (cf. Ex 33, 18-23), Élie le rencontre dans une brise légère et se couvre le visage sur le mont Horeb (cf. 1 R 19, 12-13). À la Transfiguration, Moïse et Élie parlent avec Jésus, ils contemplent le Fils de Dieu qui unit en son humanité leurs deux figures.

Matthieu nous présente Jésus comme le nouveau Moïse ; d’autres textes du Nouveau Testament le présente comme le nouvel Élie. Il unit en son être la Loi et les Prophètes, lui qui est la Parole faite chair. Il unit la dimension institutionnelle représentée par Moïse et la dimension charismatique symbolisée par le prophète Élie. Tous deux s’entretiennent avec Jésus de sa mission salvatrice qui allait s’accomplir à Jérusalem.

Le témoignage de deux personnes suffit dans la Première Alliance pour qu’une chose soit attestée. Mais ici, à la Transfiguration, au témoignage de Moïse et d’Élie va s’ajouter le témoignage du Père. « De la nuée, une voix se fit entendre : “Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le” » (Lc 9, 35).

Au baptême, la voix du Père s’était déjà fait entendre, mais ici, la voix ajoute une parole : « écoutez-le ». Notre Père saint Jean de la Croix a médité sur ce passage d’évangile et il nous donne cet avis spirituel : « Le Père dit une parole, qui est son Fils, et il la dit toujours dans un éternel silence, et c’est dans le silence que l’âme l’entend » (Parole de Lumière et d’Amour, 98) Il écrit dans un autre traité : « Puisque j’ai dit toutes choses dans ma Parole qui est mon Fils, il ne reste plus rien à te répondre ni à te révéler » (II MC 22, 4).

Alors ce matin, frères et sœurs, interrogeons-nous : sommes-nous de ceux et de celles qui écoutent la voix de Jésus ? Avant de prendre des décisions, prenons-nous le temps de l’écouter vraiment ? Quelle place concrète tient l’écoute de la Parole de Dieu dans notre quotidien ?

« Quand la voix eut retenti, on ne vit plus que Jésus seul » (Lc 9, 36). Face au chemin qu’il doit prendre vers Jérusalem, face à sa mission, face à sa Passion, Jésus est seul. La solitude qui fait si peur à nos contemporains est pourtant une condition nécessaire de notre accomplissement humain. Quelqu’un qui ne sait pas être seul, ne saura pas non plus être en société. Car les autres seront là pour combler ses manques, pour répondre à ses besoins et à ses désirs. La solitude – qu’il ne faut pas confondre avec l’isolement – est nécessaire à l’être humain pour qu’il puisse vivre ensuite dans une véritable communion avec les autres qui évite le double écueil de la fusion et de l’indifférence.

Cet épisode évangélique de la Transfiguration est porteur d’une révélation sur l’être de Jésus, vrai Dieu et vrai homme qui vient accomplir toutes les Écritures.

Mais ce texte est aussi porteur de révélation pour nous. C’est dans la prière que Jésus est transfiguré. Ce qui s’accomplit pour lui, s’accomplit aussi pour nous. Lorsque nous prions, nous sommes – d’une certaine manière – transfigurés, car nous advenons alors à notre véritable identité ; celle que nous a conféré le baptême : fils et fille de Dieu.

Trop souvent, nous nous définissons par ce que nous faisons, par nos actions diverses et variées. Lorsque nous prions, nous débrayons du faire pour “être” ; plus exactement nous nous mettons sous le regard de notre Dieu pour qu’il œuvre en nous, pour qu’il nous modèle à son image et à sa ressemblance. La prière est le lieu où advient notre véritable identité et le lieu où nous recevons nous aussi notre mission pour collaborer à la mission unique du Fils.

Nous sommes invités à savoir nous tenir en solitude pour vivre une véritable communion avec les autres dans le respect de ce qu’ils sont. Un jésuite, Michel Rondet, définit ainsi l’attitude de chasteté : « La chasteté, c’est ce sentiment qui accueille l’autre dans sa différence comme un don, comme une grâce, et que l’on reçoit sans prétendre ni le posséder, ni l’asservir ».

Que le Seigneur nous fasse la grâce de le contempler durant ce temps de carême. Qu’il nous donne de savoir nous tenir en solitude et en silence pour pouvoir l’écouter vraiment. Alors il pourra nous envoyer près de nos frères en humanité et « par son nom dans notre regard, il se fera connaître ».

Amen.

Fr. Didier-Marie Golay, ocd

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