Homélie d’Avon : Saint Elie

“ELIE, ARCHÉTYPE DU MOINE”

Fête du saint prophète Elie : 20 juillet

Frères et Sœurs, Quelques jours après avoir célébrer avec solennité Notre Dame du Mont Carmel (16 juillet), la liturgie carmélitaine nous invite à fêter le saint Prophète Elie. Il est peu habituel dans la liturgie de faire mémoire des figures de la Première Alliance. Mais l’Ordre du Carmel a toujours tourné ses regards vers la Vierge Marie et le prophète Elie, deux figures spirituelles majeures pour l’Ordre, deux modèles de vie carmélitaine. À tel point qu’au cours des siècles, le Prophète Elie a été présenté comme le “fondateur” de l’Ordre du Carmel.

En 1936 de manière étonnante, une carmélite qui n’est que postulante va présenter aux lecteurs d’un grand journal, type « ouest France », la spiritualité du Carmel. Cette carmélite prendra bientôt le nom de sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, pour l’heure elle s’appelle encore Edith Stein. Je vous propose d’écouter la présentation qu’elle fait du prophète Elie.

Après avoir introduit son texte en faisant référence aux Carmélites de Compiègne et à la Petite Thérèse, Edith poursuit : « Celui qui est un peu plus familier de l’Histoire de l’Église et de notre Saint Ordre, sait pourtant que nous honorons le Prophète Elie, comme notre guide et notre père. Mais on croit que c’est une “légende” sans signification ».

Il est intéressant de noter, qu’Edith ne dit pas nous “croyons” mais nous “honorons” ; nous sommes ici dans un registre symbolique. Edith ne se plonge pas dans l’Histoire, elle vit au présent. Face à l’argument de la “légende sans signification” elle réagit… non pour défendre ce qu’elle sait parfaitement être une légende, mais pour en défendre la “signification”.

Elle donne une double explication : « Nous qui vivons au Carmel et invoquons notre saint Père Elie dans nos prières quotidiennes, nous savons qu’il n’est pas pour nous, une vague figure d’un passé lointain. Son esprit demeure agissant en nous par une tradition vivante, et il marque notre vie de son empreinte ».

Il y a donc deux conditions à remplir pour entrer dans la compréhension de la paternité spirituelle du prophète Elie sur l’Ordre du Carmel. Tout d’abord, il faut vivre au Carmel. C’est l’expérience de vie qui permet d’entrer dans une compréhension juste des choses. La seconde condition est l’invocation du saint prophète, c’est à dire une expérience de la Communion des Saints, une vie liturgique dans laquelle s’actualise les “figures du passé”. Une certaine contemporanéité se crée alors et, par cette présence, le prophète peut agir et “nous marquer de son empreinte”.

Ayant présenté cette filiation spirituelle du Carmel, sœur Thérèse Bénédicte de la Croix montre alors comment la vie du prophète Elie est un modèle de vie carmélitaine. Elle commence par rappeler la “parole fondatrice” : « Dans la première parole que la Sainte Écriture rapporte au sujet de notre Père Saint Elie, l’essentiel est exprimé en toute concision. Il déclare à l’idolâtre Roi Achab : “Aussi vrai qu’Il est vivant, le Seigneur, le Dieu d’Israël, devant la face de qui, je me tiens, il ne tombera ces années-ci, ni rosée ni pluie, si ce n’est à ma parole” (I R 17, 2.) Se tenir devant la face du Dieu vivant, telle est notre vocation, la vie du Saint Prophète nous en fournit le modèle. »

C’est avec cette phrase qu’Edith Stein définit toute la vie du prophète et toute l’essence de la vie carmélitaine. Cette expression “se tenir devant la face de Dieu” va revenir comme un leitmotiv tout au long de l’article pour montrer que le saint prophète vivait dans la pauvreté, dans la chasteté et dans l’obéissance. En effet, dans sa présentation du saint prophète, Edith montre comment il a vécu en religieux ; dans la ligne de la spiritualité orientale, elle le présente véritablement comme un “archétype du moine”.

Elle commence donc par la pauvreté : « Il se tenait devant la face de Dieu, car c’était le trésor infini pour lequel il abandonna tous les biens terrestres. Il n’avait pas de maison, il habitait là, où le Seigneur lui assignait sa place, dans la solitude près du torrent de Kérith, dans la maisonnette de la pauvre veuve à Sarepta de Sidon, ou dans les grottes du Carmel. Son vêtement comme celui de l’autre grand prophète et pénitent le Baptiste, était une peau de bête. La peau d’un animal mort, rappelle que le corps de l’homme est aussi voué à la mort. Elie ne se soucie pas du pain quotidien, il vit dans la confiance en la Providence du Père des Cieux, et il est miraculeusement nourri. Un corbeau lui apporte des airs, la nourriture de chaque jour. A Sarepta, il se nourrit des provisions miraculeusement multipliées de la pieuse veuve. Un ange le réconforte avec le pain du ciel, avant la longue marche jusqu’à la Sainte montagne où le Seigneur devait lui apparaître. Il est ainsi pour nous, un modèle de la pauvreté évangélique dont nous avons fait vœu, une authentique figure du Sauveur ».

Edith a puisé dans l’Écriture un véritable centon du cycle du prophète pour montrer sa dépendance totale à l’égard du Seigneur et la confiance dont il vivait. Et la racine de cette attitude se trouve dans le fait qu’il “se tient devant la face du Dieu vivant”. Ainsi il devient nous seulement modèle de pauvreté, mais une figure du Sauveur, qui vécut dans la dépendance de son Père.

Se tenant devant la face de Dieu, Elie devient également modèle de chasteté : « Elie se tient devant la Face de Dieu, car tout son amour est pour le Seigneur. Il vit en dehors de toutes relations humaines naturelles. Nous n’entendons nullement parler de père, de mère, d’épouse ni d’enfants. Sa famille est formée de ceux qui, à son exemple, font la volonté du Père, Élisée que Dieu lui a assigné comme successeur, et les “fils des prophètes” qui le suivent comme leur guide. L’honneur de Dieu est sa joie, le zèle de son service le consume. »

Après avoir évoqué la pauvreté et la chasteté, sœur Thérèse Bénédicte poursuit sur le thème de l’obéissance : « Le Prophète qui sert le Seigneur avec une pureté de cœur [Chasteté], et un détachement absolu de tout le créé [pauvreté], est aussi un modèle d’obéissance, il se tient devant la Face de Dieu, comme les anges devant le trône éternel : attentif au moindre signe de Lui, toujours prêt à Le servir. Il n’a d’autre volonté que celle de son Seigneur. Si Dieu l’ordonne, il se présente devant le roi et ose sans crainte lui transmettre de funestes messages qui doivent exciter sa haine. Si Dieu le veut, il se retire du pays devant la violence, pourtant il revient de même sur l’ordre de Dieu sans que le danger ait disparu. »

Ayant présenté le prophète Elie comme un modèle de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, Thérèse Bénédicte explique que cette attitude de disponibilité ouvre à la fidélité du Seigneur. Dieu donne au Prophète d’accomplir des actes prodigieux : « Celui qui reste si inconditionnellement fidèle à Dieu, peut être assuré de la fidélité divine. Il peut parler comme une personne qui détient la puissance. Il peut fermer le ciel et l’ouvrir, commander aux flots de le laisser traverser à pied sec, il peut faire descendre le feu du ciel pour consumer son holocauste, accomplir la sentence de justice à l’encontre des ennemis de Dieu et insuffler à un mort une vie nouvelle. Nous voyons le précurseur comblé de tous les dons de grâce que le Seigneur a promis aux siens, et la récompense suprême lui est encore réservée, sous les yeux de son fidèle disciple Élisée, il est enlevé sur un char de feu, en un endroit secret, loin de tous les lieux habités par les hommes. Selon le témoignage de l’Apocalypse, il reviendra quand la fin du monde sera proche, afin de souffrir le martyre pour son Seigneur, dans sa lutte contre l’Antéchrist. »

En ce jour de sa fête, que le saint Prophète Elie, nous obtienne double part de son esprit pour que nous sachions à travers tout, nous tenir devant Dieu pour tous.

Amen.

Fr. Didier-Marie Golay, ocd

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