Homélie Solennité du Saint-Sacrement (10 juin 2012)

Il s’appelle Julien. Il y a quelques années c’était un adolescent en recherche de vérité et de liberté. Il cherchait alors à construire sa vie parfois en errance, comme tant d’autres jeunes de son âge. Sa quête se heurtait trop souvent à un mutisme de son entourage, ou à une non-disponibilité. Autour de lui il ne rencontrait que des personnes pressées par tout, et toujours. Aussi Julien resta-t-il trop souvent seul avec ses questions, ce qui peut expliquer la maladie dont il souffrait : l’anorexie, c’est-à-dire une perte de l’appétit. Invité par des camarades, il avait choisi d’emprunter le chemin de l’aumônerie des lycées : là, il allait rencontrer d’autres jeunes et faire un bout de chemin avec eux. Il appréciait ce lieu où ses interrogations pouvaient se dire, et même rencontrer quelques adultes disponibles pour l’aider à formuler une réponse à ses questions, ou tout au moins, un commencement de réponse. Son état de santé préoccupait sa famille, à un tel point qu’une hospitalisation s’avéra nécessaire pour la survie de ce jeune. Les soins apportés et l’accompagnement psychologique durant des mois ont permis une heureuse issue à cette maladie. Quelques heures après sa sortie de l’hôpital, Julien demanda à être conduit à l’aumônerie. Et à peine la porte ouverte avec un large sourire Julien interpella son aumônier : « Maintenant, je suis guéri, j’ai faim. Et j’ai faim de Dieu, prépare-moi à la communion, je veux recevoir le Pain de Dieu. ». Quelques mois plus tard, Julien communiait pour la première fois avec sa famille et ses amis.

« J’ai faim, et j’ai faim de Dieu. » Par ce désir Julien interpellait sa famille, ses camarades d’aumônerie et ses amis. Il nous pose aussi cette question, à nous qui sommes rassemblés ce dimanche : avons-nous faim de Dieu. ? » Frères et sœurs, en cette fête de l’Eucharistie, fête du Corps et du Sang du Seigneur, il est peut-être bon de nous interroger pour raviver cet appétit de l’Eucharistie, cette faim de Dieu qui en son Fils Jésus se fait nourriture pour nous et la multitude. En effet le sacrement de l’Eucharistie est cette nourriture qui nous permet de vivre et de développer notre vocation baptismale.

Nous avons tous entendu cette expression : « Je suis croyant mais non pratiquant ! ». Mais l’adhésion au message évangélique, à la connaissance de Dieu ne peuvent pas se faire indépendamment d’une vie eucharistique. La foi nous fait entrer dans une communion avec Dieu, par une vie renouvelée, dans une écoute et une obéissance à la Parole du Christ. Et aujourd’hui particulièrement à cette Parole du Christ : « Prenez, ceci est mon corps ; prenez et buvez, ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude. ». Nous sommes des croyants qui accueillons la vie Trinitaire en eux grâce à une Vie Eucharistique. Elle seule peut dessiner en nous le mystère Trinitaire d’amour de Dieu qui en son fils Jésus se fait nourriture pour nous ses amis. Aussi je préférerais remplacer l’expression « Croyant et non pratiquant » par une autre : « Pratiquant parce que peu croyant ». En effet, en participant à l’Eucharistie, nous nourrissons notre foi et nous sommes alors appelés à rayonner de ce que la présence eucharistique accomplit en nous. Oserais-je dire que chacun de nous devient comme un « tabernacle », ce lieu où est déposé le Pain de Vie à l’issue de la célébration. La vie eucharistique se prolonge bien au-delà de notre rassemblement, et nous sommes appelés à devenir ce que nous recevons, c’est-à-dire à devenir ensemble le Corps du Christ ressuscité, et faire rayonner la vie même de Dieu.

Lorsque nous nous approchons pour recevoir le Pain de Vie et le Sang versé par le Christ, nous n’accomplissons jamais un acte isolé, indépendamment de la vie du monde, de la vie de nos frères et sœurs en humanité. Chaque eucharistie nous ouvre un espace de vie toujours plus large. Alors une solidarité peut se renouveler à l’image du Christ qui s’est fait proche de tous celles et ceux qui cherchaient à être reconnus et aimés comme des personnes humaines, habillées de dignité. Notre espérance peut aussi se développer et notre foi pourra oser emprunter un chemin de renouveau pour aimer dire que Dieu est Amour, Miséricorde, tendresse infinie. Cet Amour infini pour lequel nous rendrons grâce vendredi prochain en la fête du Sacré Cœur de Jésus. Par l’Eucharistie, nous ne rappelons pas seulement un geste ancien fait par le Christ au début de l’ère chrétienne, comme nous perpétuons la fête de la Libération le 8 mai de chaque année. Nous participons à une offrande faite une fois pour toute mais qui nous ouvre sur une Alliance de Dieu avec les hommes par son Fils qui se perpétue à chaque Eucharistie. Cette mémoire du dernier repas du Christ est puisée dans un événement de l’histoire du Christ en son humanité et sa divinité. Elle est toujours actuelle, féconde, ouverte. C’est l’Eucharistie qui a permis a tant d’apôtres, de saints et de martyrs d’hier comme d’aujourd’hui d’oser aller jusqu’au bout d’une vie évangélique à la suite du Sauveur.

Merveille que ce geste du Christ imprimé lors du dernier repas et qui reste inépuisable. A quelques heures de son offrande totale par amour pour nous, Il prend ces simples choses que sont le pain et le vin, fruits de la terre et du travail des hommes, pour en faire son Corps et son Sang. L’ordinaire de la vie devient l’extraordinaire de la vie en Dieu. Par des aliments du quotidien, le Christ s’offre à nous pour être mangé. Il nous permet alors de rendre présente la mémoire de sa vie, de sa mort et de sa résurrection dans l’attente de son retour glorieux. C’est le repas des messagers de la Bonne Nouvelle.

Toute Eucharistie nous ouvre vers l’aujourd’hui de la présence de Dieu, et nous relie à toute l’histoire de l’humanité qui accueille et s’émerveille de cette proximité de Dieu rendue présente par le repas eucharistique.

A chacun de nous est posée ce dimanche cette même question que les deux disciples du Christ adressèrent au propriétaire : « Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ? ». Question que j’aimerais reformuler pour nous aujourd’hui : « As-tu faim de ma vie ? J’ai tellement envie de partager avec toi, avec vous mes disciples d’aujourd’hui ce repas d’Alliance ? Es-tu prêt à répondre dans la joie à cette invitation ? ». C’est faire écho à ce que Julien disait à l’issue de sa maladie : « J’ai faim de Dieu, prépare-moi à la communion ! ». N’attendons pas de tout comprendre du mystère de l’Eucharistie pour nous approcher et recevoir cette nourriture sainte. Même si l’appétit vient à manquer, si notre pauvreté et notre péché freinent notre démarche vers la Sainte Table, rappelons-nous que Dieu en son Fils Jésus s’offre toujours à ceux qui le cherchent, du fond du cœur.

« Je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole. » Une parole ? Quelle parole allons-nous entendre aujourd’hui en cette eucharistie qui nous mettra en appétit de Dieu ? Peut-être celle-ci : « Venez, approchez tous de cette table, c’est pour vous que je me suis fait nourriture » dit le Christ. Oui, vraiment, « Heureux les invités au repas du Seigneur ».

Fr. Didier Joseph

Revenir en haut