Homélie d’Avon : 3e Dimanche TO (A)

CONVERTISSEZ-VOUS

Jésus était venu de Galilée pour se faire baptiser par Jean dans les eaux du Jourdain ; apprenant que Jean-Baptiste a été livré, Jésus se retire en Galilée. Mais il ne retourne pas dans la petite ville de Nazareth, encaissée entre les montagnes ; il part dans une ville du bord du lac, Capharnaüm, dans cette Galilée des païens, dans cette Galilée des nations, lieu de passage, carrefour entre Césarée maritime et Damas, entre la mer et le désert… Il se rend dans un lieu ouvert pour que la lumière – lumière qu’il est lui-même, lumière qui nous a rejointe par son Incarnation – puisse éclairer toutes les nations.

Jean a été livré, il est réduit au silence. Or l’évangéliste Matthieu nous indique que c’est à ce moment-là que Jésus se mit à proclamer « convertissez-vous car le Royaume des cieux est là. » (Mt 4, 17) Jésus semble suivre les traces de son cousin Jean-Baptiste, il reprend l’appel à la conversion que le Baptiste avait lancé, appel à la conversion qui était contenu aussi dans les paroles des prophètes de la Première Alliance. Dans ce passage que nous venons d’entendre, Matthieu cite le prophète Isaïe. Plus de soixante-dix fois dans son évangile, il citera des prophéties ou des paroles de la Première Alliance pour montrer que le Christ Jésus, dans son incarnation rédemptrice, vient accomplir les promesses de Dieu faites à son Peuple.

Jésus se mit à proclamer : « convertissez-vous ». (Mt 4, 17) Il le proclama sur ces routes de Galilée ; il le proclame aujourd’hui pour chacun et chacune d’entre nous dans cette chapelle. Peut-être me direz-vous, qu’étant venus assister à l’eucharistie vous êtes déjà convertis ? Pourquoi donc entendre à nouveau une parole de conversion ?

Je crois que nous avons tous et toutes, à tout moment, à entendre le Christ Jésus nous inviter à la conversion, nous inviter à un changement de cœur. Oui, frères et sœurs, nous pouvons nous installer ; non seulement nous installer de manière matérielle, de manière intellectuelle, mais également de nous installer de manière spirituelle, c’est-à-dire de nous scléroser d’une certaine façon faisant en sorte que la Parole de Dieu glisse sur nos oreilles comme l’eau sur les plumes du canard.

Ne pouvant plus apporter cette lumière extraordinaire qui vient éclairer les plis secrets de notre âme, qui vient jusque dans nos profondeurs les plus intimes pour démasquer les ténèbres du péché et nous irradier de la lumière du Christ. Oui nous avons besoin de conversion. Cette conversion, elle peut être obtenue qu’en étant des “écoutantsˮ.

Juste après cet appel à la conversion, l’évangéliste Matthieu nous rapporte l’appel des disciples. Or le premier appelé, celui qui deviendra le chef du collège des apôtres s’appelle Simon. En hébreu ce nom a une racine qui renvoie au verbe “shemaˮ : « “shema Israëlˮ, écoute Israël. »

Cela nous indique que la première qualité est d’être un “écoutantˮ. Écoutant de la Parole de Dieu, écoutant de la Parole de Dieu dans ses trois dimensions : par l’Écriture, par la parole des frères, par les événements de ma vie. Il ne faut pas les opposer l’une à l’autre mais accueillir comme un faisceau ces trois dimensions de la Parole de Dieu.

À travers l’Écriture, à travers les frères et sœurs que nous rencontrons, à travers les événements, Dieu nous parle. Et ces trois dimensions s’éclairent l’une l’autre et nous donnent de discerner l’appel que le Christ Jésus ne cesse de lancer aujourd’hui, comme il l’a fait hier, au bord du lac de Galilée, pour Simon-Pierre, André, Jacques et Jean. Comme à chaque instant de notre existence, le Christ Jésus nous invite à marcher à sa suite. Quelle réponse allons-nous lui donner ? Quelle urgence y verrons-nous pour laisser ce que nous faisons et ce que nous sommes afin de marcher derrière lui ?

Dans les récits de vocations, il y a deux manières de faire qui sont d’ailleurs complémentaires. Lors de l’appel des Douze, il nous est dit que Jésus les appelle pour être avec lui. Ici, Jésus appelle pour aller derrière lui. Il nous faut être avec Jésus, prendre le temps de l’intimité avec lui pour le suivre sur ses chemins. Et il nous faut le suivre pour pouvoir le laisser nous enseigner. Nous mettre dans les pas du Seigneur, nous mettre à sa suite pour aller avec lui.

Jésus demande que nous le suivions parce qu’en fait toute son existence terrestre, toute son incarnation n’a qu’un but : retourner dans le sein du Père et nous entraîner avec lui dans ce mouvement de retour. C’est pourquoi dans l’icône de l’Ascension qui le montre retournant auprès du Père, il est revêtu non pas du blanc étincelant de la Résurrection, mais de l’ocre de la terre, parce qu’en lui, toute l’humanité, tirée de la terre, fait retour au Père. Jésus veut nous conduire au Père. Admirable liberté du Christ qui ne nous attache pas à lui.

Nous pouvons nous interroger sur nos diverses relations : ne sommes-nous pas parfois un peu captatifs, ne supportant pas que tel ou tel de nos amis ait des relations fortes avec d’autres personnes. Nous voulons l’autre pour nous, rien que pour nous. Or Jésus nous apprend à vouloir les autres pour eux-mêmes, pour les conduire plus loin.

En ce sens là, nous pouvons dire que saint Paul était un véritable disciple et imitateur de Christ, comme nous le montre la deuxième lecture. Il ne veut pas que l’on se réclame de lui. Il ne veut même pas que l’on dise : « j’appartiens au Christ » (1 Co 1, 12) si cette expression signifie que je peux me passer de la médiation ecclésiale.

Paul nous interroge là aussi sur notre manière d’être en Église. Nous nous réclamons souvent de telle ou telle chapelle, de tel ou tel groupe. C’est humain, mais cela devient très gênant lorsque nous estimons que tel groupe n’est plus vraiment d’Église, que nous jugeons et séparons. Nous devenons alors sectaires.

Nous sommes les disciples d’un Dieu unique, d’un seul Dieu comme nous l’affirmons dans le Credo ; mais d’un seul Dieu qui est Père, Fils et Saint Esprit. Un seul Dieu en trois Personnes. Dans l’Être même de Dieu Trinité, il y a unité et diversité, communion profonde dans la différence. C’est à cause de notre foi en un Dieu Trinité que nous sommes appelés à vivre la communion dans la diversité, à vivre l’unité entre nous tout en étant différents.

La semaine de prière pour l’unité que nous vivons actuellement nous invite à communier intimement à l’Être de Dieu ; c’est pourquoi cette prière pour l’unité de l’Église ne peut pas se résumer à une semaine de prière au milieu du mois de janvier ! Dans la mesure où l’unité dans la diversité est l’Être même de Dieu, dans la mesure où le Christ Jésus a prié pour cela avant de vivre sa passion (cf. Jn 17).

Nos divisions empêchent la révélation d’aller jusqu’à son achèvement, nos divisions sont un obstacle à cette lumière qui est venue « dans le pays de l’ombre et de la mort » (Mt 4, 16) par l’incarnation rédemptrice du Verbe de Dieu.

Oui, frères et sœurs, avouons que nous avons besoin de conversion. Pour vivre cette conversion, écoutons l’appel qui nous est lancé par nos frères chrétiens de Jérusalem qui ont choisi une phrase des Actes des Apôtres comme thème de la semaine de prière pour l’unité : Être unis dans l’enseignement des apôtres, la communion fraternelle, la fraction du pain et la prière (cf. Ac 2, 42).

Il nous faut nous aussi redécouvrir l’écoute de la Parole de Dieu et de l’enseignement des Apôtres, redécouvrir la puissance de guérison des sacrements, de la force de la prière pour convertir notre cœur, marcher à la suite de Jésus sur le chemin de l’unité afin que le salut, la Bonne Nouvelle annoncée au monde puisse rejoindre nos frères les hommes de ce temps. Amen.

Fr. Didier-Marie Golay, ocd

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