Homélie du 32e Dimanche TO - B -

Les textes de ce jour mettent en avant deux veuves, celle de Sarepta qui donne le peu qui lui reste pour nourrir le prophète Élie, et celle qui vient au Temple de Jérusalem verser dans le tronc « tout ce qu’elle avait pour vivre ». Il n’est pas aussi fréquent que la liturgie propose à notre méditation cette figure de la veuve, et pour bien comprendre l’enseignement de la parole de Dieu, il est bon de rappeler le contexte social et juridique de l’antiquité. Comme le soulignait le psaume 145, s’il y a dans la société antique méditerranéenne deux personnes qui ont besoin d’être soutenues par le Seigneur, ce sont bien la veuve et l’orphelin. Car dans cette société patriarcale du temps de Jésus, être veuve ou orphelin, ce sont 2 situations d’extrême vulnérabilité. En effet, seuls les hommes masculins adultes avaient la pleine capacité juridique, et étaient des citoyens à part entière, l’enfant et la femme demeuraient toujours sur la tutelle masculine, de leur père ou de leur époux. L’enfant et la femme ne pouvaient par eux-mêmes participer à la vie sociale, ni même travailler pour gagner leur vie. La femme passait au jour de son mariage de la tutelle de son père à celle de son mari, et si du fait de la mort de ce dernier, elle demeurait seule, elle ne pouvait subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses enfants, elle était donc condamnée à la mendicité.

C’est sur cet arrière-fond culturel que nous sont donc proposées ces deux figures de veuve qui vont aller jusqu’à tout donner alors qu’elles sont vulnérables, faibles et pauvres en opposition aux figures masculines, en particulier des scribes et des pharisiens, qui sont en position de force, que l’on salue sur les places publiques, et se placent au premier rang dans les synagogues. Cette vulnérabilité des veuves et des orphelins fait que l’esprit évangélique et, plus largement, l’esprit chevaleresque demandent qu’on les protège, les respecte et les soutienne. Mais dans les lectures de ce jour, nous constatons en définitive que ce sont ces deux veuves qui viennent en aide au prophète Élie et font une offrande au Temple.

Dans l’Évangile, Jésus relève la beauté et la grandeur du geste de cette pauvre veuve qui sait donner tout ce qu’elle a. Mais en quoi consistent la beauté et la grandeur de ce geste ? Quel enseignement l’Évangile veut-il nous donner ? Faudrait-il que chacun de nous donne beaucoup de son argent pour faire un don proportionnellement aussi important que celui de la veuve et que l’on puisse dire aussi de nous, comme Jésus a dit de la veuve : « il a tout donné ce qu’il avait pour vivre » ? Il ne me semble pas qu’il faille aller aussi loin, ni s’appauvrir matériellement, donner tous ses biens, pour être un bon chrétien. Cette lecture littérale de l’Évangile, cette interprétation fondamentaliste, risque seulement de faire un pauvre de plus sans résoudre le problème de la pauvreté dans ce monde.

Si je comprends bien l’Évangile de ce jour, Jésus souligne plutôt la générosité, la grandeur et la beauté du geste de la veuve car elle prend sur son indigence. La valeur du don qu’elle fait provient non de la valeur modique de la somme versée dans le trésor du temple, mais du fait qu’elle donne de son nécessaire. Certes, surtout en ces temps de crise, il est très important que nous soyons solidaires effectivement et donc matériellement, que ceux qui ont quelque bien sachent réellement partager avec ceux qui sont dans le besoin. Mais je ne crois pas que Jésus nous demande de nous appauvrir, d’effectivement tout donner ce que nous avons pour vivre. Le risque de ces interprétations littérales, et quelque peu fondamentaliste, en forçant le trait des exigences évangéliques, c’est qu’en jugeant excessives les demandes de l’Évangile, en définitive nous nous en dispensions allègrement, en bonne conscience, les jugeant irréalisables. Le Seigneur ne nous demande pas de faire un pauvre de plus, mais de savoir donner avec une grande qualité de cœur, à l’image de ces veuves. Et comme il le souligne, cette qualité provient du fait de partager ce que nous avons en peu de quantité, certes, ce peut être de l’argent, et il ne faut jamais l’écarter, mais ce peut être aussi notre temps, notre capacité d’écoute, notre disponibilité.

Donc, la question à se poser pour savoir ce que nous avons à donner, ce n’est pas celle de savoir ce que j’ai en trop, ce dont j’ai en bonne quantité et que je peux partager sans souci, mais au contraire ce que j’ai en peu de quantité, ce qui me manque. Ainsi quand je donnerai de ce temps après lequel je cours, de cette attention et disponibilité alors que mes préoccupations personnelles me tourmentent, je manifesterai la vraie charité, le vrai détachement, l’estime que je porte pour mon frère et ma sœur vers lesquels l’Esprit du Seigneur me conduit. À l’image de la veuve, pauvre, faible et vulnérable, c’est de notre indigence que nous avons à donner et non seulement de nos richesses. Pour savoir ce qu’il nous faut donner, ne partons pas d’abord de nos richesses, mais de nos pauvretés, de ce qui nous manque déjà.

Alors, nous ferons l’expérience de la vraie solidarité et surtout de la bénédiction du Seigneur qui l’accompagne : « jarre de farine, point ne s’épuisera, vase d’huile, point ne se videra, jusqu’au jour du Seigneur. »

Fr. Antoine-Marie, o.c.d.

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