Homélie 3e Dimanche de Pâques 2013

Etonnante scène que ce barbecue sur la plage où se côtoient les couleurs pastels d’un paysage lacustre et celles, intenses, d’un feu de braise ; puissant diptyque qui tient adossés expérience communautaire et expérience personnelle, que l’on oppose si souvent, un récit d’apparition pascale au groupe des disciples et un dialogue entre Jésus et Pierre ; profond passage enfin, passage d’évangile, passage que vit Pierre depuis sa résolution de retourner à sa vie passée (« je m’en vais à la pêche ») jusqu’à sa triple confession qui lui permet de suivre désormais Jésus : l’évangile de ce jour se présente comme un concentré d’Ecriture et comme un résumé de vie chrétienne. Je voudrais développer ces deux aspects…

Les familiers de la mer comprendront l’image, plus ceux de nos mers d’Occident que ceux du lac de Palestine sans doute. Notre texte qui constitue un appendice au quatrième évangile m’évoque une plage à marée basse, après la tempête, où l’on découvre là une méduse, là une étoile de mer, là un coquillage. On peut en effet trouver dans notre évangile des éléments de l’Ecriture qui se côtoient en un étonnant mais signifiant contraste. N’est-ce pas d’ailleurs un effet de la grâce pascale que de remuer et rassembler ainsi dans nos vies des expériences a priori éparses pour leur donner sens et lumière ? Cette scène de pêche peut ainsi évoquer les récits d’appel (« suis-moi »), tout spécialement celui chez saint Luc qui l’associe à une scène théophanique (« c’est le Seigneur ! ») au cours d’une pêche miraculeuse. Cette scène de repas peut évoquer également les récits de multiplication des pains et des poissons où l’expérience de nos « rien » ou de nos « peu » humains, s’ils sont offerts, peut s’avérer celle de la prodigalité du Seigneur. Elle aboutit à un repas partagé, où c’est le Seigneur qui donne - c’est-à-dire qui donne de donner (« apportez-donc de ce poisson que vous venez de prendre ») ou qui donne tout simplement (« Jésus s’approche prend le pain et le leur donne ») - Cette scène de mer et de feu peut rappeler assurément les manifestations du Seigneur dans l’Ancien et le Nouveau Testament : traversée de la mer rouge, nuée de l’Exode, récit de la tempête apaisée… Le Seigneur se manifeste parfois dans des expériences marquantes par leur force et leur étrangeté, toujours inoubliables. Cette scène de clair-obscur peut évoquer aussi le récit d’Emmaüs. Le Seigneur se révèle étrangement, sans s’imposer mais de manière irrésistible. « C’est lui, c’est pas lui » (« ils ne savaient pas » puis « ils savaient » mais la question « qui es-tu ? » est malgré tout posée par le narrateur) : cette ambiguïté concerne aussi, dans le récit de saint Luc, l’Inconnu en chemin. Nos deux textes se terminent pareillement par un repas et jouent avec le feu, feu de braise chez l’un et cœurs brûlants chez l’autre. Cette scène du triple questionnaire peut enfin évoquer, en creux, le triple reniement de Pierre durant la Passion qui, selon saint Jean, se passait lui aussi non loin d’un feu de braise. Mais le feu du dialogue d’aujourd’hui, c’est surtout la parole de Jésus, délicate mais sans équivoque, qui n’est ni une condamnation qui enfermerait, ni un oubli qui déresponsabiliserait, parole qui vient cautériser la blessure du remords et de la honte de Pierre et faire de cette cicatrice le fondement de sa mission. Nous parlions de passage : qu’il est grand celui opéré par Pierre depuis sa confession présomptueuse de foi (cela ne t’arrivera pas) ou de courage (je ne te renierai jamais) jusqu’à celle d’aujourd’hui qui ne s’appuie plus que sur Dieu ! « Tu sais tout » autrement dit même l’amour que j’ai pour toi vient de toi et n’a que toi comme garantie. Il n’est pas question pour Pierre « d’aimer plus que ceux-ci » mais de s’appuyer uniquement sur la miséricorde du Seigneur, toujours offerte et plus forte que nos lâchetés. Douceur et puissance de la grâce !

Notre évangile est donc comme un bouquet d’évangiles et se présente ainsi comme un concentré de vie chrétienne, dont je soulignerai deux points : la foi comme transfiguration du quotidien et les deux confessions de la foi. Premièrement, la foi vient transfigurer notre quotidien, le sauver de sa vacuité ou de son insignifiance. Notre évangile est tissé de gestes quotidiens : travailler, manger. Mais il commence par la parole qu’on a pu qualifier de plus triste de l’évangile : « je m’en vais à la pêche », après tout ce qui s’est passé. N’y a-t-il pas plus grand désespoir que la déception de l’espérance la plus haute ? C’est celui qui rongeait les marcheurs d’Emmaüs, c’est celui de beaucoup de nos contemporains après la chute des idéologies. Mais c’est justement ce quotidien menacé de morosité que transfigure l’expérience de la présence du Seigneur et de son amour indéfectible dans notre diptyque d’apparition et de pardon. Si le quotidien le plus gris peut être habité par une telle présence, si la trahison la plus noire peut être transformée en lieu de mission et de promesse, qui donc peut ravir notre joie et notre espérance ? Notre évangile résonne donc comme un appel à discerner cette présence dans l’ambiguïté et le clair-obscur de nos vies. L’inattendu, l’excès, la gratuité en seront des critères toujours sûrs. Appel aussi à oser lancer les filets. Appel à ne pas fuir nos errances mais à les confier à la grâce de Dieu. Oui, la foi pascale peut transfigurer nos vies ! Deuxième point. Pour désigner les deux cris de notre évangile, « C’est le Seigneur » et « tu sais tout », la tradition chrétienne recourt à un même mot, « confession ». Etre croyant, c’est confesser le Seigneur, le Christ ressuscité. C’est aussi reconnaitre l’amour, la relation qui nous lie avec lui, c’est-à-dire son amour et tout à la fois, le nôtre et nos trahisons à son amour, « confesser ses péchés ». Notre foi chrétienne n’a pas d’autre fondation que la miséricorde : « tu sais tout : je t’aime car tu m’as aimé le premier ». Nos deux confessions n’en font qu’une. C’est saisi par cet amour que je peux confesser le Seigneur.

Tel est ce concentré de vie chrétienne que manifeste notre évangile. L’amour est tout, lumière, sens et puissance de notre vie. Que ce temps pascal nous donne d’en être les témoins transfigurés ! Amen

Fr. Guillaume, ocd

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