Homélie Vigile Pascale 2013

Pourquoi donc encore des mots après tant de paroles écoutées ; pourquoi une homélie après celles déjà entendues au cours même de cette veillée, car, par exemple, l’annonce de la Pâques, l’Exultet, n’est-elle pas déjà une grande et belle homélie qui reprend les nuits de l’histoire du salut pour nous inviter à comprendre, accueillir et célébrer celle, récapitulative, inédite et toujours nouvelle, de la Résurrection, celle que nous célébrons cette nuit, celle qui fait notre joie et notre espérance ? Il me vient une image suggérée par Jean de la Croix, l’auteur à invoquer en cette nuit, lui qui a su en chanter les grands symboles : la nuit, la flamme, la source et même le jardin, comme pour nous encourager à la célébration dans un tel lieu. Dans son Cantique spirituel, il a ses vers : « Toi qui éveilles les amours, souffle à travers mon verger et que se répandent ses senteurs ». Il parle de l’Esprit-Saint et souligne que ce jardin, ce verger, contient déjà toutes les saveurs et que le rôle du souffle n’est pas d’en rajouter mais d’agiter les fleurs pour que leurs parfums se répandent. Y a-t-il au fond pour nous maintenant autre chose à faire : souligner, redire, faire entendre des harmoniques, faire chanter et danser ce que nous croyons déjà pour en sentir toute la force, la joie et les promesses ? Chanter la nuit sainte, célébrer la résurrection du Seigneur, c’est tout à la fois mesurer la grande cohérence du Dieu, créateur, rédempteur et sanctificateur dans l’histoire et dans nos vies – le Christ est ressuscité conformément aux Ecritures - et réaliser son action toujours nouvelle, inattendue voire inconvenante à nos pensées - « ses propos leur semblèrent délirants » nous dit l’évangile - Accomplissement et nouveauté, respirons ces deux senteurs de la Résurrection…

Premièrement, cette nuit pascale accomplit toute chose. Nous avons pris le temps de relire l’Ecriture, des récits, des réflexions et des poèmes qui disent la fidélité du Dieu de l’Alliance que la Résurrection ressaisit, confirme et éclaire. La Résurrection, en effet, récapitule ce que nous avons entendu. Croire à la résurrection, c’est croire à la vie, la vie bonne offerte par Dieu (récit de la création), la vie plus forte que la mort, la vie qui se tisse de relations (de filialité, comme le raconte le sacrifice d’Abraham ou de nuptialité, comme le chante le prophète Isaïe car notre Dieu se révèle comme Père et Epoux qui nous appelle à la communion). Croire à la résurrection, c’est croire au Dieu de toutes les traversées et de toutes les libérations, celle d’Israël, de la mer Rouge, celle du Christ, du séjour aux Enfers, la nôtre, des entraves du péché. Croire à la résurrection, c’est croire au Dieu toujours présent qui nous conduit, qui nous aime et nous aimante. « Vous tous qui avez soif, voici de l’eau » disait Isaïe ; « qui a découvert la demeure de la Sagesse ? » demandait Baruch ; « je vous donnerai un cœur nouveau » prophétisait Ezéchiel : oui, toute la recherche de sens et tous les désirs de l’homme exprimés par les sages et les prophètes se trouvent accomplis en la Résurrection du Seigneur qui est la nôtre. « A quoi servirait-il de naître sans le bonheur d’être sauvé ? » demandait l’Exultet pour poursuivre : « nuit où le ciel s’unit à la terre, où l’homme rencontre Dieu » : oui, nous sommes appelés au bonheur, à la communion avec le Seigneur et avec nos frères, à la divinisation, à la pleine connaissance de sa gloire, à l’Amour infini toujours vainqueur. Croire à la vie, éprouver la liberté, connaître le vrai bonheur, c’est tout cela vivre en ressuscité : résurrection, mystère d’accomplissement…

Deuxièmement, notre nuit pascale est celle de tous les déplacements, de tous les inattendus, de tous les paradoxes. Paradoxe de cette nuit plus claire que le jour, paradoxe de cette heureuse faute qui nous valut pareil Rédempteur. L’évangile n’est pas un récit triomphal : il se termine sur l’étonnement de Pierre, raconte la frayeur des femmes et l’incrédulité des disciples. Il est la nouvelle d’un vide : « il n’est pas ici ». Mais c’est ce creux justement qui vient dérouter les femmes qui s’étaient déjà accommodées de la mort. La résurrection nous déplace de nos résignations et nous mène vers l’inouï, au-delà de tous nos efforts, de nos rêves, de nos contrôles, de nos autojustifications. La résurrection n’est pas un retour « comme avant » en des terres familières mais un passage vers l’étrangeté de Dieu : la vie divine nous est donnée, submergeante et inédite ; elle nous invite à une autre logique, celle du don gratuit. Elle appelle notre foi et tel est bien le déplacement suprême. Personne n’a vu le Christ ressuscitant (« toi seule pus connaître cette heure où le Christ a surgi des enfers » disait à sa manière l’Exultet) et peu sont ceux qui ont vu le Christ ressuscité. Vivre en ressuscité c’est donc appuyer notre vie, ses choix et ses espérances sur la confiance en ces témoins originels de la Résurrection et en ceux qui l’ont transmise. Foi de l’Eglise, foi en l’Eglise, voilà encore un déplacement de la Résurrection, qu’en ces jours riches pour notre Eglise nous pouvons souligner.

Alors, troisième senteur, célébrer la nuit pascale c’est être initié à la joie : « nuit de vrai bonheur » ! Car la joie, comme la vie, comme la liberté, comme la communion, s’apprend au-delà de nos joies rêvées ou fabriquées : joie de celui qui est retourné de chez les morts au-delà de tous les échecs, pertes, déceptions ou écroulements ; joie de celui qui a renoncé à tout maitriser ; joie de celui qui se livre à la foi ; joie du pauvre qui ne peut compter que sur Dieu. La joie de la Résurrection semble frêle et fragile car elle repose sur la force de Dieu qui ne vient pas de nous. Elle a le son d’un chant de merle qui n’a pas la puissance sonore du cacardement de l’oie ou du jacassement de la pie mais qui a pour lui la grâce et l’obstination. Laissons donc grandir cette joie comme monte la sève, profitons de ce temps pascal, tout spécialement de ce jour de Pâques et de cette semaine pascale qui nous fera de nouveau parcourir les récits d’apparitions pascales. Célébrons, partageons et rendons grâce : Christ est ressuscité, alleluia !

Fr. Guillaume, ocd (Avon)

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